Selin Öndül, Rita Tuggener
1. Introduction
Quels sont les défis auxquels les enseignants LCO sont confrontés ? La réponse à cette question varie considérablement d’un pays d’immigration à l’autre, comme l’attestent les témoignages de la partie 2 B ; cela dépend par exemple, du degré d’intégration de l’enseignement LCO dans le système scolaire local. Toutefois, il existe indéniablement des points communs. Les sous-chapitres qui suivent exposent neuf de ces points, certains ont déjà été abordés au chapitre 1 A, d’autres seront approfondis au cours des prochains chapitres. L’objectif consiste à faire apparaître les défis auxquels les enseignants sont confrontés dans leur travail, à les soutenir dans leurs efforts ainsi qu’à les sensibiliser à un éventuel surmenage.
2. Conditions générales, structures scolaires
Dans la plupart des pays, lands, cantons et communes, l’enseignement LCO bénéficie d’un statut d’enseignement facultatif d’une durée de deux à quatre heures par semaine, sachant que ce dernier cas est rare. Comme décrit de façon détaillée au chapitre 1 A.3, les offres et l’organisation de cet enseignement sont sous la responsabilité des établissements scolaires du pays d’immigration, du consulat, de l’ambassade du pays d’origine ou d’organismes non gouvernementaux (associations, fondations, etc.) En général, les conditions de travail et la rémunération des enseignants LCO diffèrent grandement selon le type d’organisme responsable. Une étude menée en Suisse (cf. Calderon, Fibbi, Truong, 2013) montre ainsi que le salaire pour une leçon varie entre 0 et plus de 100 francs suisses. Selon le type d’organisme responsable (et le nombre d’élèves), les enseignants LCO exercent leur activité en tant qu’emploi principal, secondaire ou même à titre bénévole.
Concernant les conditions-cadres, les objectifs et les attentes, l’enseignement LCO doit trouver sa voie entre les exigences légales du pays d’immigration, le programme d’études LCO du pays d’origine et les visées des différents acteurs (par exemple celles des autorités et des collègues du pays d’immigration, ou des parents d’élèves) – voir à ce sujet chap. 1 A.2, « Objectifs de l’enseignement LCO », et les témoignages au chap. 2 B.2). Cela peut engendrer des problèmes et des conflits de conscience ; par exemple, lorsque des parents avec un fort sentiment national demandent « davantage de patriotisme » alors même que le programme scolaire du pays d’immigration met fortement l’accent sur l’éducation à la tolérance et à la compréhension mutuelle. Il est important que l’enseignant LCO adopte une position claire et compatible avec les conditions-cadres et qu’il soutienne également cette position vis-à-vis des parents et des collègues.
L’enseignement LCO se déroule en général en dehors du temps scolaire obligatoire ; il est peu coordonné à l’enseignement ordinaire et dispensé dans différentes écoles ou communes, en partie dans des salles inadaptées ou insuffisamment équipées. En tant qu’enseignant LCO, on ne peut changer grand-chose à cela, du moins concernant les trois premières conditions-cadres. Outre le dialogue direct avec les responsables des communes et des bâtiments scolaires, il est conseillé de s’organiser au sein d’une association professionnelle ou d’un syndicat en vue d’obtenir de meilleures conditions-cadres.
Les conditions-cadres défavorables mentionnées ci-dessus peuvent entraîner des problèmes de motivation tant pour les élèves que le corps enseignant. Outre les discussions et négociations aux différents niveaux mentionnées ci-dessus, une mesure efficace pour lutter contre les problèmes de motivation consiste à proposer des leçons passionnantes et intéressantes, motivantes à la fois pour les élèves et les enseignants.
En outre, s’il est possible de mettre en place une collaboration, même ponctuelle, avec quelques écoles ou enseignants du système scolaire ordinaire, cela favorise non seulement la motivation, mais aussi le développement linguistique et psychosocial des élèves.
Le chapitre 12 offre de nombreuses suggestions à ce sujet, notamment un exemple de « fiche descriptive », permettant aux enseignants LCO de se présenter auprès de l’école. Voir aussi les « Conseils pour les nouveaux enseignants LCO » de Valeria Bovina au chap. 1 B.5.
3. Préparation et soutien à la tâche d’enseignant LCO
Les enseignants LCO se rendent vite compte que ce type d’enseignement diffère considérablement de l’enseignement ordinaire auquel leur formation initiale se référait. Parmi les divergences, on peut citer l’enseignement à plusieurs classes, le niveau linguistique extrêmement hétérogène des élèves, la réduction de l’enseignement à quelques heures par semaine, des élèves habitués à des méthodes d’enseignement ouvertes et individualisées, un matériel d’enseignement parfois manquant ou inadapté, une intégration souvent faible au sein d’un système ordinaire, etc. (cf. chap. 1 A.6 et 2 B.1)
En règle générale, les enseignants LCO ne sont pas préparés à de telles différences et à ce contexte spécifique. Ils ont donc besoin d’aide pour s’orienter et de soutien sous forme de formations continues ou d’informations complémentaires.
Le module obligatoire « Introduction au système scolaire zurichois », décrit au chapitre 14 A.3, constitue un bon exemple. Outre cette première introduction au contexte local, il demeure important de se familiariser aussi avec les points fondamentaux de la pédagogie, de la didactique et de la méthodologie du pays d’immigration, tout comme avec les questions spécifiques d’organisation de l’enseignement LCO et les possibilités de coopération avec l’enseignement ordinaire. À cet effet, diverses offres de formations continues de la part du pays d’immigration, comme du pays d’origine, sont nécessaires (cf. chap.14). À cet égard, le présent manuel (grâce notamment aux pistes pour la réflexion, la discussion et l’approfondissement proposés dans la partie C de chaque chapitre) devrait fournir une aide précieuse. Dans tous les cas, il est indispensable d’avoir de bons contacts avec les collègues du même enseignement LCO, avec d’autres enseignants LCO, avec des enseignants du système scolaire ordinaire ainsi qu’avec les autorités et les responsables de l’école dans le pays d’immigration.
4. La médiation culturelle et la transmission comme nouvelles facettes du métier
L’enseignant responsable d’une classe, qu’il exerce dans son pays d’origine ou dans un pays d’immigration, a une mission claire. Il a acquis en grande partie les compétences nécessaires à sa tâche lors de sa formation initiale. Quand un enseignant LCO part à l’étranger, de nouvelles tâches lui sont assignées, pour lesquelles il n’a pas été formé. Parmi celles-ci, les fonctions de transmission et de médiation entre parents et enseignants (ou d’autres instances) du pays d’immigration occupent une place importante, ce que les enseignants LCO dotés d’une bonne connaissance de la langue locale pourront confirmer. Très vite, ceux-ci sont sollicités pour jouer le rôle d’interprète lors des discussions avec les parents. Cela peut être particulièrement utile lorsqu’il s’agit d’élèves connus à la fois des enseignants du système scolaire ordinaire et des enseignants LCO. On conçoit en effet aisément que les échanges ne se limitent pas alors à de la simple traduction. D’ailleurs, il est juste que l’enseignant LCO appelé à l’aide soit rémunéré pour son temps et son travail.
Même lorsque les enseignants LCO traduisent dans des situations où ils ne connaissent pas les élèves concernés, ils remplissent généralement une fonction supplémentaire de médiateurs culturels ou d’interprètes communautaires. Connaissant d’une part le système scolaire local et ses attentes, d’autre part le contexte familial et ses représentations culturelles spécifiques vis-à-vis de l’école et de l’éducation, ils peuvent construire des ponts précieux, combler les lacunes en matière d’information, et offrir leur soutien à l’enseignant responsable de la classe ainsi qu’aux parents.
Il est particulièrement important de transmettre et de thématiser tout ce qui vaut comme normes et attentes non écrites dans le pays d’immigration, surtout auprès des parents immigrés issus de familles défavorisées sur le plan éducatif et qui ignorent souvent l’existence de telles normes.
Il s’agit par exemple, de règles non écrites, mais évidentes concernant « l’heure de coucher appropriée » pour les enfants petits et grands, ce que ceux-ci doivent consommer au petit-déjeuner ou dans la journée, la question des devoirs et la création d’un environnement propice à l’apprentissage à la maison. S’informer sur ces sujets et transmettre les informations collectées représente une tâche importante pour l’enseignant LCO. S’il dispose d’informations suffisantes sur le système scolaire local et les règles implicites mentionnées ci-dessus, il peut organiser des soirées-parents (si possible, en coopération avec l’école locale) pour les informer sur les valeurs, les attitudes et les attentes de l’école dans le pays d’immigration. Enfin, il semble également important de souligner que la maîtrise de deux langues ne permet pas automatiquement de travailler comme interprète. Dans tous les cas, il faut veiller à ne pas se surcharger avec la tâche exigeante d’interprète interculturel et doser soigneusement la tenue de tels événements.
5. Potentiel et opportunités de l’enseignement LCO
Parmi les défis agréables du travail comme enseignant LCO, mentionnons le fait de prendre conscience du potentiel, de l’importance et des opportunités de ce type d’enseignement. Nous nous limitons ici à quatre aspects.
a) Importance de l’enseignement LCO pour le développement de la bilittéralité
L’enseignement LCO apporte une contribution décisive au développement des compétences bilittérales (savoir lire et écrire aussi dans sa propre langue première). L’enseignement LCO est plus ou moins la seule chance d’apprendre la langue d’origine dans ses variantes orales et écrites et, de manière globale, d’acquérir aussi la culture de l’écrit en vue d’atteindre un bilinguisme complet. Cela s’applique en particulier aux élèves issus de familles défavorisées sur le plan éducatif, au sein desquelles on s’exprime essentiellement en dialecte et où l’on lit et écrit rarement.
Grâce à leur formation aux compétences littérales (lire et écrire) dans le cadre des cours LCO, les enfants et adolescents concernés deviennent également des locuteurs compétents dans leur langue maternelle. Ils cultivent et développent ainsi des compétences spécifiques importantes et une partie entière de leur identité biculturelle. L’enseignement LCO permet d’écarter le risque qu’ils perdent le contact avec la culture de l’écrit et, partant, deviennent analphabètes dans leur langue première. Par ailleurs, si la plupart des enfants et des jeunes issus de l’immigration ont acquis, dans leur langue première, un vocabulaire qui leur permet de maîtriser aisément les situations familiales quotidiennes, ils atteignent vite leurs limites lorsqu’il s’agit d’aborder des discussions plus complexes et des textes plus exigeants.
L’enseignement LCO remplit, entre autres, l’importante mission d’élargir le vocabulaire de la langue première et de le rendre fonctionnel pour les thèmes exigeants et les activités en relation avec l’école.
Cela permet d’éviter la désagrégation problématique du vocabulaire que l’on peut sinon souvent observer :
le vocabulaire du quotidien relève principalement de la langue première tandis que le vocabulaire scolaire et plus « académique » est surtout utilisé à l’école ou dans la langue nationale.
La mise en place de compétences littérales d’une part, et la nécessaire acquisition d’un vocabulaire plus complet dans la langue première d’autre part, sont deux questions qu’il convient d’aborder avec les élèves et leurs parents pour que ceux-ci prennent conscience de leur importance.
b) Contribution à une société plurilingue
L’enseignement LCO peut apporter une large contribution à la mise en œuvre de deux postulats linguistiques de l’Union européenne : le premier concerne l’exigence de l’acquisition précoce d’au moins deux langues étrangères, le deuxième promeut le plurilinguisme sur le plan individuel jusqu’à ce que tous les citoyens disposent, outre leur langue première, de connaissances pratiques dans au moins deux autres langues (cf. Europäische Union, 2005 dans les indications bibliographiques). Toutefois, pour satisfaire à ces exigences, il est primordial que le système scolaire ordinaire offre des conditions-cadres appropriées à l’enseignement LCO et que les parents soient tenus informés, de manière sérieuse et durable, sur cet enseignement et ses avantages.
c) Potentiel dans le domaine de l’éveil aux langues (EOLE² ; language awareness)
Grandir dans un environnement plurilingue est particulièrement fructueux si les langues concernées sont promues de manière équitable à l’école, par la lecture, l’écriture, la maîtrise de la variante standard, l’acquisition d’un vocabulaire étendu et un éveil aux langues.
À cet égard, la contribution de l’enseignement LCO est d’autant plus déterminante que le système scolaire ordinaire ne serait pas en mesure de proposer une telle approche. Ainsi, s’il est doté des possibilités d’apprentissage appropriées, cet enseignement peut largement contribuer au développement de l’important domaine de l’éveil aux langues (language awareness).
Si les élèves LCO disposent bien dès le début d’au moins deux langues (langue première, langue du pays d’immigration, éventuellement langues étrangères apprises à l’école), il convient de saisir les nombreuses occasions qui, dans le cadre de l’enseignement LCO, permettent d’observer et de comparer ces langues. Grâce à ces moments d’apprentissage stimulants et intéressants, les élèves seront plus aptes à établir des liens entre leurs différentes langues.
De plus, il faut préciser que les effets positifs du travail mené dans le domaine de l’éveil aux langues ( language awareness ) sont connus et reconnus de longue date de sorte que, depuis plusieurs années, les élèves de toute l’Europe gèrent un portfolio linguistique (PEL). Dans le vaste catalogue de ces effets répertoriés par James & Garett (1992), nous n’en sélectionnons que quelques-uns, qui s’appliquent bien sûr aussi aux comparaisons et observations linguistiques dans l’enseignement LCO :
d) Utilité pour l’enseignant LCO
Le travail d’un enseignant LCO est non seulement stimulant, mais aussi enrichissant. Les expériences multiples liées à la pédagogie et au contact avec la culture du pays d’immigration offrent une occasion unique de développer ses propres compétences transculturelles et, le cas échéant, de les insérer sous la forme d’une tâche nouvelle ou supplémentaire dans le cadre de cet enseignement.
6. Un défi particulier : la propre intégration de l’enseignant dans le pays d’immigration
Les enseignants, qui ont un contrat à durée déterminée dans le pays d’immigration, doivent à la fois s’intégrer durant cette période et préserver leur aptitude au retour. C’est une situation éprouvante qui peut écarter la possibilité d’un regroupement familial : les conjoints s’en trouvent séparés l’un de l’autre, ou les enfants le sont de leurs parents. Les enseignants LCO ne font pas partie d’une équipe qui se voit et échange au quotidien puisqu’ils travaillent en général aux heures creuses et se déplacent souvent d’une école à l’autre. Ils assument par conséquent une lourde responsabilité individuelle. Ils sont en contact avec beaucoup de responsables différents et contraints, à chaque fois, de se familiariser avec les règlements et les normes propres à chaque structure pour accomplir leur mandat dans ce cadre. De plus, ils doivent, après avoir trouvé un logement, se constituer un réseau de relations dans leur sphère privée et soigner leurs contacts sociaux. Bonne maîtrise de la langue locale, volonté de prendre des risques, curiosité, persévérance et sociabilité sont les conditions optimales pour nouer des contacts à l’école et dans le reste de la société. Si l’on accorde trop peu d’attention à ces facteurs et que la prise en charge d’un poste d’enseignant LCO est conditionnée par des incitations ou des raisons économiques, cela peut entraîner de l’isolement, du stress psychologique et des maladies.
Avant d’accepter une charge d’enseignement LCO, il est conseillé de se renseigner autant que possible sur le pays d’immigration et les conditions du travail afin de bien s’y préparer. De bonnes connaissances de la langue du pays d’immigration (souvent le niveau B1 selon le Cadre européen commun de référence est exigé) et l’assurance d’un logement favorisent largement l’intégration.
7. Heterogeneity as a chance and challenge
Les classes LCO d’aujourd’hui se caractérisent par une grande hétérogénéité au niveau de la langue, du passé migratoire et de l’âge des élèves, en raison des circonstances historiques, démographiques et autres, liées à la migration. L’hétérogénéité des classes LCO a déjà été abordée au chapitre 1 A.5 ; nous allons ici accentuer et approfondir trois points.
a) Hétérogénéité au niveau de la langue
Dans sa forme originale, l’enseignement LCO était axé sur le retour, conçu pour faciliter la réintégration des élèves dans le système scolaire de leur pays d’origine. À l’époque, les cours étaient principalement fréquentés par les enfants de travailleurs migrants dont le séjour dans le pays d’immigration était considéré comme temporaire. Les contextes familiaux, ainsi que les connaissances linguistiques, étaient plutôt homogènes. Aujourd’hui, ce n’est définitivement plus le cas. Par exemple, l’enseignement LCO de l’italien ou du croate est suivi aussi bien par des enfants de la troisième génération que par des élèves dont les parents sont arrivés seulement quelques mois auparavant. En outre, il y a de plus en plus d’enfants issus de mariages mixtes dont un seul parent parle la langue enseignée dans les cours LCO : leurs compétences en langue première sont par conséquent inférieures à d’autres.
Pour certains de ces enfants et de ces jeunes, le terme même de « langue première (ou langue maternelle) » n’est pas sans équivoque : soit ils ont grandi avec deux langues depuis leur naissance, soit leurs compétences dans la langue de l’école et du pays sont devenues, au fil du temps, nettement supérieures à celles de leur langue d’origine.
Pour cette raison, pendant les pauses ou lors d’une conversation informelle, il n’est pas rare que les élèves LCO s’expriment entre eux dans la langue de l’école et du pays, et non dans leur langue d’origine.
b) Hétérogénéité au niveau des âges
Les classes LCO comptent presque toujours des élèves d’âge mixte ; dans les cas extrêmes, elles comprennent des élèves allant du jardin d’enfants (préscolaire) à la neuvième année. Une telle situation relève d’autant plus du défi que, pour les raisons mentionnées ci-dessus, l’âge et les compétences linguistiques ne sont en aucun cas nécessairement liés dans l’enseignement LCO (un élève motivé de troisième année peut être beaucoup plus compétent dans sa langue première qu’un élève de huitième année qui l’utilise juste à la maison, avec sa mère). Le mélange des âges peut néanmoins représenter un avantage, les enfants apprenant énormément les uns des autres. Malgré tout, la situation est susceptible de devenir problématique si les différences de développement cognitif et social sont telles qu’il s’avère quasiment impossible de trouver des thèmes et des intérêts communs. Dans ce cas, les enseignants LCO doivent faire preuve d’une grande créativité en matière de didactique. L’échange et l’entraide lors des préparations de cours peuvent constituer une aide importante ; les chapitres 9 à 12 du présent manuel offrent à cet égard un soutien supplémentaire.
c) Hétérogénéité des contextes familiaux
Une autre dimension de l’hétérogénéité concerne le niveau d’instruction et les conditions de vie des familles. Même si elles viennent du même pays, les familles présentent des différences souvent considérables en termes d’instruction et de conditions de vie dans le pays d’immigration. Cela tient au fait que les contextes économiques et politiques incitent des familles de milieux sociaux très divers à émigrer. Conjuguées aux différences linguistiques et à celles concernant l’âge, ces origines socioculturelles contrastées peuvent devenir un défi de taille à relever pour les enseignants LCO, mais elles sont aussi en mesure de donner lieu à des réflexions et des discussions passionnantes et instructives.
Par leur bilinguisme ou plurilinguisme, tous les élèves LCO détiennent un potentiel commun et des ressources doubles. Par conséquent, nous recommandons aux enseignants qui travaillent avec eux d’effectuer des recherches approfondies sur le thème du bilinguisme ou du plurilinguisme.
Un premier constat important s’impose : le bilinguisme ne signifie pas une maîtrise parfaite ou une expression orale sans accent dans les deux langues. Les élèves ont généralement différents niveaux de compétence dans leurs langues, ce qui est normal, et représente le point de départ d’un encouragement à l’apprentissage. La reconnaissance des acquis et des compétences linguistiques est primordiale, notamment dans leur langue première où ces qualités sont souvent trop peu perçues et appréciées en tant que telles par la société et l’école ordinaire. À ce sujet, l’ouvrage The Psycholinguistics of Bilingualism de Grosjean & Li (2013), disponible malheureusement seulement en anglais, est très intéressant : il offre des notions de base faciles à comprendre, aide les enseignants LCO dans leur propre développement et dans leurs conseils à prodiguer aux parents et autres personnes encore sceptiques vis-à-vis de l’enseignement LCO ou du bilinguisme.
8. Le matériel pédagogique et les devoirs
a) Le matériel pédagogique
Parmi les défis auxquels sont confrontés les enseignants LCO, figure la situation peu satisfaisante concernant le matériel pédagogique et les autres supports spécifiques à l’enseignement LCO (cf. chap. 1 A.6 et 2 B.2). Le chapitre 10 A.4 (« Sources possibles de matériel pédagogique ») traite en détail de cette question et propose une série de conseils concrets et pratiques pour l’acquisition de matériel (voir aussi les chapitres 10 A.5 et A.6).
En tout état de cause, il est fructueux d’échanger avec des collègues pour se renseigner sur le matériel pédagogiques et les sources (électronique et autres) qu’ils utilisent dans leurs cours. De nombreux enseignants disposent d’une grande quantité de matériel qu’ils ont eux-mêmes constitué. L’échange ou la création d’archives (éventuellement sous forme électronique) peut apporter un soutien utile et enrichissant à de nombreux enseignants.
b) Les devoirs à la maison
En principe, les devoirs à la maison sont un complément utile aux cours LCO, d’autant que le nombre de leçons par semaine et par année scolaire est fort limité. Cependant, la question des devoirs variant d’un pays à l’autre, il est important de s’informer sur les habitudes du système scolaire local. Les obligations des enfants pendant la semaine et le temps libre restant à disposition sont des aspects importants à prendre en compte.
Si les élèves perçoivent les devoirs à la maison comme une surcharge de travail, ils pourraient se détourner du cours LCO. En revanche, si ceux-ci constituent un complément au cours, utile et réalisable, ils favoriseront le processus d’apprentissage et seront, en général, également encouragés par les parents.
Cependant, la qualité des devoirs est tout aussi importante que la quantité : si les devoirs sont stimulants, clairs et attrayants, les élèves y consacreront volontiers davantage de temps libre. Pour une tâche obligatoire ennuyeuse, ils se lasseront au bout de vingt minutes.
9. Évaluation des compétences et des performances des élèves
Face à des classes très hétérogènes, l’individualisation partielle des objectifs, des contenus et des exigences constitue un moyen important d’offrir un enseignement de qualité (cf. aussi le chapitre 3 sur les caractéristiques d’un bon enseignement). Mais l’individualisation implique aussi des questions et des défis concernant l’évaluation des performances des élèves. Le chapitre 7 (« Évaluation des performances orientée vers la promotion des élèves ») expose les points clés actuels en la matière ; la partie 7. B contient des exemples pratiques qui peuvent fournir de bonnes idées. Cependant, compte tenu de la grande hétérogénéité des classes et du peu de temps à disposition, il demeure quasiment impossible de donner des notes fiables, attestant des différentes compétences des élèves.
Il est également difficile de faire face aux diverses attentes, d’une part celles des parents, d’autre part celles des enseignants de classes ordinaires, relativement aux notes LCO : les enseignants locaux souhaitent autant que possible des notes « réalistes » à partir desquelles on peut également tirer certaines conclusions, en ce qui concerne par exemple les compétences dans la langue première et le comportement face au travail. Les parents veulent surtout voir de bonnes notes : de mauvais résultats peuvent rapidement les conduire à retirer leurs enfants des cours LCO, ce qui est possible en raison de leur caractère facultatif. Ce dilemme est difficile à résoudre, mais des discussions avec les deux parties (parents et enseignants du système scolaire ordinaire) devraient permettre de parvenir à un compromis. Ces heures de travail supplémentaires peuvent constituer un problème pour les enseignants LCO. Dans ce cas, il est vivement recommandé de se limiter à quelques élèves : ceux qui présentent des difficultés particulières ou ceux qui, pour d’autres raisons, ont réellement besoin d’être encouragés (ex.: arrivée récente dans le pays).
L’évaluation des élèves LCO présente un grand potentiel de surcharge de travail, qu’il ne faut pas sous-estimer.
Ce thème ne doit pas être pris à la légère et il est conseillé d’en discuter avec les responsables locaux. Dans tous les cas, il est recommandé de donner aux élèves, outre de simples notes, un feed-back différencié à l’écrit ou à l’oral, afin de les encourager et de renforcer leur capacité d’auto-évaluation au moyen de critères compréhensibles.
10. Gestion de la classe et discipline : comment réagir face au comportement des élèves
Conjointement aux compétences propres à chaque matière, l’école a toujours pour tâche l’enseignement des valeurs et compétences sociales (cela correspond à la double mission des écoles publiques en tant qu’établissements d’enseignement et d’éducation). Toutefois, il existe des représentations et des priorités différentes et spécifiques à chaque pays. Dans un pays, par exemple, le système scolaire peut accorder une grande importance à l’indépendance, tandis qu’un autre considèrera l’assiduité, l’obéissance et la ponctualité comme des compétences fondamentales, et qu’un troisième pays accordera une place centrale à l’éducation démocratique (voir aussi les chapitres 4 et 5 qui résument les points fondamentaux faisant l’objet d’un large consensus dans les pays du nord et de l’ouest de l’Europe).
Ces différences, qui peuvent aussi exister d’un enseignant à l’autre, ont une influence sur la gestion de la classe et l’application des règles. Les élèves connaissent la gestion de classe habituelle du pays d’immigration et l’acceptent en tant que norme ou l’estiment normale. Cependant, cette manière de gérer une classe peut différer significativement de celle de l’enseignant LCO, aussi est-il important de connaître les différences et d’introduire ses propres règles, après en avoir discuté avec les élèves.
Il n’est pas rare que les enseignants LCO établissent des rapports sur de supposés « problèmes de discipline » juste parce que leur manière de gérer la classe et leurs habitudes diffèrent de celles du pays d’immigration, et qu’élèves et enseignants n’ont pas les mêmes attentes les uns envers les autres.
Nous recommandons aux enseignants LCO de se familiariser avec les comportements locaux, la répartition des rôles (élèves et enseignants) et les rituels de classe par le biais de visites d’écoles et de discussions. Ils sont alors en mesure de mettre en place de façon transparente et en toute connaissance de cause leurs propres règles de classe. Celles-ci peuvent se référer aussi bien aux valeurs, normes et rituels du pays d’immigration que du pays d’origine. Si les règles – ainsi que les conséquences en cas de violation de celles-ci – sont discutées et élaborées avec les élèves, elles seront plus largement acceptées et plus susceptibles d’être respectées.
Indications bibliographiques
Calderon, Ruth; Rosita Fibbi; Jasmine Truong (2013): Arbeitssituation und Weiterbildungsbedürfnisse von Lehrpersonen für den Unterricht in heimatlicher Sprache und Kultur. Neuchâtel: rc consulta. Lien: http://www.rc-consulta.ch/pdf/HSK-
Erhebung_d_def.pdf
Europäische Union (2005): Rahmenstrategie für Mehrsprachigkeit. Lien: http://europa.eu/legislation_summaries/education_training_youth/lifelong_learning/c11084_de.htm oder http://eur-lex.europa.eu/legal-content/DE/ TXT/?uri=CELEX:52005DC0596
Grosjean, François; Ping Li (2013): The Psycholinguistics of Bilingualism. Malden, MA, & Oxford: Wiley-Blackwell.
James, Carl; Peter Garett (1992): The Scope of Language Awareness. In: C. James and P. Garett (eds.): Language Awareness in the Classroom. London: Longman, pp. 3–20.
Schader, Basil; Nexhat Maloku (2015): Förderung des Schreibens in der Erstsprache (= Reihe «Mate- rialien für den herkunftssprachlichen Unterricht»; Didaktische Anregungen 1). vpod Bildungspolitik (2014): Sonderheft Nr. 188/189 «Die Zukunft des Erstsprachunterrichts» (div. Beiträge).
2 En Suisse romande, on utilise couramment l’expression « Éducation et ouverture aux langues à l’école » (EOLE) pour désigner l’approche ELBE (Éveil aux langues, « Language Awareness », « Begegnung mit Sprachen ») (Note de la traductrice).